Fidèles Défunts
MOIS DE NOVEMBRE, MOIS DE TOUS LES FIDELES DEFUNTS
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Textes du jour ici:
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http://www.introibo.fr/02-11-Commemoraison-de-tous-les
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Sermon:
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A MOURIR JE GAGNE !
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« A mourir je gagne ! » Comment un homme, un mortel, a-t-il pu écrire de sang-froid une parole aussi provocante et humainement folle ? Provocation, folie, c’est bien ainsi qu’ont dû la juger les païens contemporains de l’Apôtre Paul, c’est ainsi que doivent la juger les païens de tous les siècles. Déjà, les anciens poètes Grecs gémissaient : « La vie des hommes est orpheline et impuissante, incapable de résister à la vieillesse et d’échapper à la mort. Pourquoi en vain faire effort, puisque tout aboutit à mourir dépouillé ? » Et un poète du XXème siècle, un païen lui aussi, reprend le même gémissement : « derrière moi il ne reste plus qu’un sillage stérile, oblique, léger : j’ai vécu en vain. Devant moi, dans l’ombre, est la mort sans flambeau : je mourrai en vain. » La mort est une voleuse qui nous enlève tout : biens matériels, amitiés, famille ; et qui nous enlève notre être même en nous déchirant. En présence de cette ruine totale et de cette brutalité, parler de gain semble une plaisanterie macabre. Et au défi que lui lance encore saint Paul : « O mort, où est ta victoire ? » la mort aurait beau jeu de répondre : « ma victoire, elle est partout : car pas un être ne m’échappe ; et ma victoire est absolue, aboutissant à la désagrégation même de cet être humain. »
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Mais avec toutes ces considérations développées indéfiniment par les littératures et les philosophies, nous restons au niveau du paganisme. Or saint Paul se mettait dans la perspective et la lumière de la foi chrétienne. Dès lors tout change. Cette mort, qui se présentait comme une spoliation brutale et une extermination révoltante, doit nous paraître comme le sommet de notre existence ici-bas, comme l’heure privilégiée de cette existence et sa consommation, l’acte le plus solennel, le plus beau et le plus méritoire de notre vie.
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D’où vient ce changement radical, cette transformation inattendue ? C’est que le Dieu fait homme, venant ici-bas comme volontaire de la vie humaine, a voulu être aussi volontaire de la mort. Et tout ce que touche le Christ, il le transforme et le transfigure, même si en apparence il le laisse inchangé. En vivant une existence de travaux obscurs et d’occupations quotidiennes, il a transformé l’obscurité et le quotidien. En mourant d’une mort humaine, il a transformé cette mort et lui a donné un sens et une valeur : elle est un accomplissement.
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Reconnaissons que le Christ n’a pas triché avec la condition humaine : Il a accepté et choisi la mort avec tout ce qu’elle peut comporter d’humiliation et de souffrance jusqu’au paroxysme. Rien de glorieux dans ce drame, rien de grand, aucun panache, aucune auréole : la banalité d’une exécution capitale, apparemment, un fait divers de la chronique judiciaire, un mélange de barbarie et de vulgarité. Or c’est par cette croix brutale et déshonorante que le Christ a sauvé le monde. Car sur le calvaire encombré par les ennemis et les badauds, la mort de Jésus, qui n’a rien d’une solennité liturgique et qui semble une boucherie ignoble, est en réalité le sommet de l’histoire religieuse, le sacrifice dans lequel le Prêtre souverain expie par sa charité les péchés du monde et ouvre au genre humain les portes de la vie. « Il n’y a rien de plus grand dans l’univers que Jésus-Christ, dit Bossuet, il n’y a rien de plus grand dans Jésus-Christ que son sacrifice ; il n’ya rien de plus grand dans son sacrifice que son dernier soupir. »
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Et pour Jésus lui-même cette neuvième heure sur le calvaire, cette heure de lourdes ténèbres, qui semblait la fin de tout, annonce déjà l’aube pascale et la Résurrection.
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Mais la foi ne nous révèle pas seulement la valeur infiniment méritoire et la beauté réelle de la mort de l’Homme-Dieu ; elle nous enseigne aussi que notre mort à nous a été sanctifiée par le Christ et que nous pouvons unir cette mort à son sacrifice.
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Car qu’est ce que la vie chrétienne toute entière sinon l’union avec le Christ mort et ressuscité ? Cette union s’inaugure et s’opère réellement au baptême, qui est dans notre existence le seuil décisif, la péripétie essentielle, la rupture véritable, puisque c’est là que nous mourons au mal et naissons à la vie divine. Cette union avec le Christ doit se continuer à travers toute notre vie : nous devons toujours davantage nous libérer de ce mal du péché et nous laisser envahir par la vie divine ; nous devons toujours davantage nous unir par nos souffrances offertes et notre amour au sacrifice du Sauveur, en mettant à profit les grâces qu’il nous a méritées par sa mort.
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Mais c’est notre dernier jour qui doit être le plus beau, qui doit être la suprême montée. Car c’est en acceptant généreusement la mort qui représente pour nous le plus dur sacrifice que nous sommes unis le plus étroitement au sacrifice du Christ ; c’est alors que nous pénètre au suprême dégré cette vie divine qui doit à la fin s’épanouir dans notre résurrection dont la Résurrection du Christ est le modèle et l’assurance indubitable. Ce doit être l’acte décisif de notre vie, celui où se consumera enfin cette union avec le Christ mort et ressucisté qu’a inaugurée notre baptême et qui doit se réaliser de mieux en mieux tout le long de notre existence.
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Dès lors tout est changé : « A mourir je gagne. » Peu importent les circonstances mêmes de cette mort, que nous devons abandonner à la Providence et sur lesquelles nous devons avoir le courage de bannir toute anxiété et même toute interrogation. Que nous mourions dans la banalité d’une chambre de malade, ou tragiquement dans ce qu’on appelle un accident absurde, que notre mort soit entourée de soins attentifs et d’affection fidèle ou qu’elle soit tragiquement solitaire, en réalité elle ne sera ni solitaire, ni banale, puisqu’elle sera consolée par la présence de Jésus-Christ, transfigurée par la grandeur du sacrifice, radieuse de l’espérance toute proche du ciel et la perspective de la résurrection.
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Oui, elle sera tout cela, mais à une condition. La formule de l’Apôtre : « A mourir je gagne », n’est que la seconde partie de sa phrase, comme elle n’est qu’un aspect de sa pensée. Car il est écrit : « Pour moi, la vie, c’est le Christ, et à mourir je gagne. » Il ne doit pas y avoir discontinuité et brisure entre la vie et la mort du chrétien comme si la mort était un coup de théâtre, un brusque renversement de situation. La mort n’est un gain pour l’homme que si le Christ est pour lui la vie, c’est-à-dire s’il a vécu dans sa lumière, dans sa vérité, dans l’observation de ses volontés, si son existence a été profondement une amitié avec le Christ.
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C’est la grâce qu’il faut demander par l’intercession de la vierge Marie : car elle est Notre-Dame des agonies, celle qui a souffert dans son cœur tous les déchirements de la mort de son Fils, celle qui près de la croix de son premier-né a appris à veiller l’agonie de ses autres enfants que nous sommes ; et elle est Notre-Dame de l’Assomption, celle dont la mort fut une extase, parce qu’un élan irrésistible l’attirait vers ce Jésus qui était toute sa vie. O vierge, priez pour nous maintenant et à notre heure suprême.
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Jésus, Marie, Joseph, je vous aime; sauvez les âmes!
Que les âmes des fidèles trépassées reposent en paix !
Ainsi soit-il!
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