TREIZEME DIMANCHE APRES LA PENTECÔTE
TREIZEME DIMANCHE APRES LA PENTECÔTE
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Textes du jour ici:
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Sermon
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CELUI QU'ON NE REMERCIE PAS!
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Ils étaient dix lépreux. Les dix avaient supplié la même supplication. Les dis avaient été guéris par le même miracle. Un seul vint remercier. Peut-être un observateur de l’homme, perspicace et amer, jugerait-il que le pourcentage de reconnaissance est encore assez satisfaisant. Notre-Seigneur, cependant, tient à souligner l’ingratitude : « Est-ce que les dix n’ont pas été guéris ? Et les neuf autres, où sont-ils ? » C’est un cri du cœur qui lui échappe. On dirait que le Maître éprouve une déception imprévisible, un étonnement douloureux. Il semble faire la découverte d’une ingratitude insoupçonnée.
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En réalité, Jésus ne fait aucune découverte, il n’a rien à découvrir, car il sait ce qu’il y a dans l’homme. Il connaît la terre humaine, lui le semeur, et il est habitué à voir sur les sillons où il a prodigué la grâce, lever les moissons d’ingratitude. Mais il veut nous rappeler que la reconnaissance envers Dieu est pour nous une attitude obligatoire, essentielle à notre condition humaine, indispensable à notre vie chrétienne.
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Certes, le Père est celui qui donne sans la moindre arrière-pensée ; et sa générosité est tout le contraire d’une opération commerciale. Il est celui qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » Les athées eux-mêmes et les sans-Dieu sont les tranquilles profiteurs de Dieu, à l’instant même et dans l’acte dans lequel ils refusent Dieu. Ils nient Dieu ou le blasphèment avec l’intelligence reçue de Dieu ; c’est avec leur liberté et avec l’énergie que Dieu leur donne généreusement qu’ils mènent la révolte et la guerre contre Dieu.
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Les dons du Fils de Dieu devenu homme parmi les hommes sont toujours gratuits : jamais ils ne sont un capital dont il attendrait des intérêts, encore moins un moyen subreptice d’exercer une pression ou un chantage. Et le Maître a interdit à ses disciples une charité qui ne serait qu’un placement avantageux : « Invite à dîner ceux qui sont incapables de rendre l’invitation. » Et c’est bien le Christ-Jésus qui a inspiré à saint Paul – un de ceux qui ont le mieux compris son Cœur – la fierté et le point d’honneur qui lui font dédaigner tout salaire, même un salaire de reconnaissance. Le travail apostolique dans lequel il s’épuise n’est pas pour lui un gagne-pain ; il n’est pas davantage un gagne-estime, ni un gagne-affection : « Très volontiers je dépenserai tout et je me dépenserai moi-même par-dessus le marché pour vos âmes, même si, vous aimant davantage, je dois être moins aimé. »
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Et cependant, Notre-Seigneur, infiniment plus détaché et plus généreux que saint Paul, s’étonne et s’interroge : « Et les neuf autres, où sont-ils ? »
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Ce n’est pas que le Maître soit tellement choqué par cette infraction aux lois de la politesse. Il est sûr que des enfants qui ne disent pas merci contreviennent aux règles élémentaires de ce qu’on appelait autrefois « la civilité puérile et honnête ». Mais quand le Fils de Dieu vient dans le monde des hommes, il s’attend bien à la grossièreté et n’est pas très regardant sur les questions d’étiquette.
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Évidemment, Jésus, qui a une sensibilité comme la nôtre, ne peut ne pas souffrir du manque de cœur et de délicatesse chez les hommes, ses frères. Mais il en souffre surtout, parce qu’on souffre personnellement des défauts que l’on constate en ceux qu’on aime. Quand il souffre de notre ingratitude, c’est pour nous bien plus que pour lui-même.
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Car elle est inquiétante, étant le signe d’une médiocrité et d’une rudesse d’âme, étant plus encore le signe d’un orgueil foncier, orgueil terriblement dangereux et en contradiction radicale avec l’esprit chrétien.
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Pourquoi l’homme n’aime t-il pas dire merci ? Pourquoi la reconnaissance lui est spontanément antipathique ? Parce qu’il a l’ambition, souvent inconsciente et inavouée, de ne rien devoir à personne, même pas à Dieu, et de bâtir tout seul sa propre vie, parce qu’il voudrait être, jusque dans son effort et son progrès moral, comme ces milliardaires d’outre atlantique, ces rois de l’or, pétrole, diamants…, qui se vantent d’être « des hommes qui se sont faits eux-mêmes ». Un furieux désir d’indépendance joint à un âpre instinct de propriété, « c’est à moi et cela vient de moi », n’est-ce pas l’homme dans ses tendances les plus profondes ?
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Tout lui répugne de ce qui lui fait reprendre conscience de son néant. Il est le pauvre qui ne veut rien devoir à la charité et considère l’aumône comme une insulte. Or, la reconnaissance de l’homme qui remercie Dieu est, avant tout, la reconnaissance de son néant ; elle est l’expression même de notre état de créature ; c’est ce qui la rend si difficile, ce qui la rend salutaire.
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Voilà d’ailleurs pourquoi Dieu nous la réclame. Pas plus que la prière de demande, la prière d’action de grâces n’est utile à Dieu, car rien n’est utile à Dieu ; mais c’est à nous qu’elle est indispensable. Sans elle, Dieu continuerait à donner, car il n’est pas comme les hommes, dont la générosité mesquine ne résiste guère à l’ingratitude ; mais sans la reconnaissance, les dons mêmes de Dieu tourneraient à notre désavantage et nous pervertiraient en nous murant dans l’orgueil et dans la suffisance.
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Au reste, ne craignons pas que cette humilité foncière de la créature soit humiliante. Comme on l’a dit, « l’homme n’est grand qu’à genoux », et ce n’est pas là simple trouvaille verbale.
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Il faut nous souvenir de l’exemple que nous donne celle qui est la plus haute, étant mère de Dieu et Reine du Ciel. Quand elle a pleinement conscience de sa grandeur et de sa vocation privilégiée, elle laisse chanter son cœur et de ce cœur c’est un cantique de reconnaissance qui jaillit, un cantique qui renvoie tout à Dieu. « Mon âme exalte le Seigneur…Le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses. »
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Il faut même nous inspirer d’un exemple plus sublime encore. Le Fils qui reçoit tout du Père et tient de lui la divinité, le Fils devenant homme parmi nous a été un continuel merci au Père, une action de grâces vivante, comme il a été une adoration vivante. Et à la dernière Cène, à l’heure qui précédaient les heures cruelles de la Passion, il a voulu instituer le sacrifice, qui est bien un mémorial du Calvaire expiateur, mais qui s’appelle l’Eucharistie, c’est-à-dire l’action de grâces, qui est le suprême merci au Père, source de tout bien et qui doit faire monter vers lui, avec la reconnaissance du Fils, notre reconnaissance.
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Que le Christ lui-même nous libère de cet orgueil sordide, de cette bassesse d’âme qu’est l’ingratitude ; Qu’il nous donne des cœurs semblables à celui de sa Mère, semblables à son Cœur.
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Bon dimanche à tous, dans la grâce et l’amour du Seigneur !
En Jésus par Marie !